Le Tarot dit "de Charles VI"
1La présentation et l'analyse de chacune des 16+1 cartes du pseudo Tarot de Charles VI est d'une rare qualité.
Ce magnifique travail mérite d' être davantage connu et reconnu
Présentation en ligne par la BnF de ce Jeu des princes humanistes :
http://expositions.bnf.fr/renais/arret/3/
"Le Tarot dit de Charles VI, dont dix-sept cartes sur soixante-dix-huit sont conservées, est l’un des rares témoignages des luxueux jeux princiers de la Renaissance italienne dont une vingtaine d’exemples subsistent. Son titre est en partie inexact, Charles VI (1368-1422) n’étant pas le destinataire de ces cartes, exécutées en Italie du Nord, postérieurement au règne de ce roi de France."
L’exposition offre ensuite de splendides ressources iconographiques commentées à bon escient sous la forme de feuilletoirs :
http://expositions.bnf.fr/renais/feuille/index4.htm
Pseudo Charles VI Tarot
"Créations d’érudits, ces jeux abondaient en allégories, symboles et emblèmes, diffusant la nouvelle culture.
Les humanistes souhaitaient une compréhension immédiate de la connaissance et pensaient atteindre ce but par un langage visuel. L’art devenait alors l’un des supports du savoir.
L’iconographie des tarots, qui puise dans le sacré et le profane, correspond à la culture médiévale et humaniste."
"Une expression de la culture humaniste
Les tarots peints sont mentionnés dès le XVe siècle dans les cours de Milan et Ferrare. Ils apparaissent comme l’une des expressions de la culture humaniste, qui inspirait de nombreux jeux éducatifs, édifiants, parfois initiatiques ou ésotériques. Créations d’érudits, ces jeux abondaient en allégories, symboles et emblèmes, diffusant la nouvelle culture. Les humanistes souhaitaient une compréhension immédiate de la connaissance et pensaient atteindre ce but par un langage visuel. L’art devenait alors l’un des supports du savoir. L’instruction était appréhendée comme une initiation personnelle à une vie supérieure, et ces jeux, où la tradition sacrée se mêlait à la culture profane et à la fiction, séduisaient les princes.
Le jeu de tarots est cité pour la première fois, semble-t-il, à Ferrare, en 1442, sous l’expression carte da trionfi ou triumphorum ludus (triomphes). Vers 1500, le terme tarocchi apparaît dans un livre de comptes de la cour de Ferrare. La transcription française "tarot" se rencontre dans un document daté 1505. C’est de Milan que le tarot se propagea en France, en Suisse, puis de là en Allemagne et dans le reste de l’Europe. Il se répandit sous la forme d’un ensemble de soixante-dix-huit cartes : vingt-deux atouts ou triomphes et cinquante-six cartes du jeu à quatre couleurs (roi, dame, cavalier, valet, cartes numérales de l’as au dix) aux enseignes latines figurant des symboles (épée, bâton, coupe, denier). Si celles-ci proviennent d’Orient, du monde musulman, les atouts sont une création essentiellement européenne. Des variantes apparurent dès le début du XVIe siècle, le minchiate de Florence avec dix-neuf atouts supplémentaires et le tarocchino de Bologne sans les cartes de points de deux à cinq. Des jeux plus populaires, gravés sur bois et imprimés circulaient aussi.
Le Tarot dit de Charles VI aurait pour origine Bologne. Les atouts conservés – signalés ici en italique – s’intercaleraient ainsi : Bateleur, Impératrice, Empereur, Papesse, Pape, Amoureux, Chariot, Tempérance, Justice, Force, Roue de Fortune, Ermite, Pendu, Mort, Diable, Maison-Dieu, Étoile, Lune, Soleil, Monde, Jugement. Le Fou est un atout spécial qui n’est pas numéroté.
Une iconographie conforme à la culture médiévale et humaniste
L’iconographie des tarots, qui puise dans le sacré et le profane, correspond à la culture médiévale et humaniste. Des ensembles se remarquent : le pouvoir spirituel et temporel : Le Pape, La Papesse, L’Impératrice, L’Empereur ; les vertus cardinales : La Tempérance, La Justice, La Force ; les allégories chrétiennes : La Mort, Le Diable, La Maison-Dieu, Le Jugement ; la culture populaire : Le Bateleur, L’Amoureux, La Roue de Fortune, L’Ermite, Le Pendu ; les planètes : L’étoile, La Lune, Le Soleil, Le Monde. Ajoutons pour le minchiate les vertus théologales (Foi, Espérance, Charité), La Prudence, vertu cardinale, les éléments et les signes du zodiaque.
Le décryptage de ces figures, aisé pour les humanistes, est devenu énigmatique au cours des temps. Les allégories et les symboles, la succession des atouts, et surtout les fonctions ludiques qui s’y ajoutent, ont toujours suscité l’intérêt, stimulé l’imagination et entraîné bien des interprétations. Ainsi en est-il du terme "triomphe" désignant les atouts qui évoque aussi le célèbre ouvrage de Pétrarque (1304-1374), Les Triomphes (I Trionfi) écrit à partir de 1352. Le manuscrit fut édité à Rome en 1471. Bien que le poète n’ait pas décrit l’illustration de son ouvrage, c’est celui-ci qui inspira le plus les artistes au XVe et XVIe siècles. Des figures allégoriques, l’Amour, la Chasteté, la Mort, la Renommée, le Temps, la Divinité, montées sur des chars, symbolisaient le triomphe. Enluminures, peintures, tapisseries, décors de coffres, ivoires, céramiques, émaux, gravures les reproduisaient, offrant une interprétation très libre des poèmes.
La lecture de Pétrarque
Traités isolément ou ensemble, Les Triomphes de Pétrarque se lisaient de cette manière : l’Amour triomphait des hommes qui ne lui résistaient pas ; il était vaincu par la Chasteté qui l’entraînait, enchaîné ; la Vie incarnée par la victoire de la Chasteté sur l’Amour était vaincue par la Mort ; La Renommée triomphait de la Mort, et à son tour succombait au Temps ; enfin la Divinité (l’Éternité), aboutissement de tout ce qui est terrestre, triomphait du Temps.
La thématique des triomphes correspondait au goût de la Renaissance pour les triomphes antiques, connus par les bas-reliefs. Les fêtes profanes et religieuses prenaient pour modèles ces processions de chars célébrant la victoire. Les atouts du tarot disposés côte à côte pourraient figurer aussi un défilé, mais bien que quelques allégories, l’Amour, la Mort, le Temps, et sous la forme du Jugement, la Divinité, se retrouvent dans le jeu et dans Les Triomphes de Pétrarque, la succession des atouts se rapproche davantage d’un cortège allégorique ou d’une mascarade, divertissements très fréquents.
L’artiste anonyme qui imagina le Tarot dit de Charles VI situe ses figures dans un espace scénique. Il recherche un effet de trompe-l’œil en les détachant du fond, et du cadre qu’elles dépassent. Cette projection en avant anime la composition et les personnages, pour la plupart en mouvement, qui semblent avancer vers le spectateur, continuer leur trajet ou leur action, ou encore présider à quelque cérémonie.
Le style des tarots reste très inspiré par l’enluminure, cependant le but de la carte, les contraintes du cadre et des dimensions, la vivacité et la répétition des tons limités aux couleurs rouge, bleu, vert, orange, or, argent (oxydé le plus souvent) modifient la perception de ces images où les figures, pour la plupart isolées, apparaissent en gros plan. Hiératisme du Monde, raccourci remarquable des bras du Fou agitant ses grelots, élégance du Valet, grâce et raffinement de la fileuse (Le Soleil ), aspect caricatural des visages des astronomes et disproportions des figures (La Lune), l’impression varie d’une carte à l’autre, et donne à l’ensemble une puissance d’expression surprenante.
Une comédie mystérieuse
La comédie que jouent ces personnages demeure mystérieuse, et l’ésotérisme, l’occultisme, la cartomancie ont trouvé là un champ propice à leur activité à partir du XVIIIe siècle et surtout au XIXe siècle. Cependant le jeu de levées que permet le tarot est toujours actuel. Sa structure et les combinaisons qui en découlent fascinent par leur logique. Elles ont été analysées ces dernières années par Michaël Dummett, philosophe, professeur de logique à Oxford de 1979 à 1992, et l’histoire des règles du tarot est maintenant connue – sauf pour les débuts – grâce à ses travaux. L’iconographie originelle s’est perpétrée dans les jeux à enseignes italiennes, livrant au monde contemporain ces fragiles figures insolites, toujours fascinantes, inexplicable pouvoir de l’univers de l’image qui défie le temps.
G. L."
Commentaires .
Ce Tarot dont il ne subsiste que 17 cartes fut faussement attribué à Charles VI à partir d’une note de 1392 (?) de Charles Poupart mentionnant un certain Jacquemin Gringonneur :
« A Jaquemin Gringonneur, peintre, pour trois jeux de cartes à or et à diverses couleurs, ornés de plusieurs devises pour porter devers ledit seigneur roi pour son ebattement : LVI sols parisis. »
Charles Poupart, Registre de la Chambre des Comptes, 1392(?)
La note est authentique mais ferait référence en fait à un tout autre jeu que le Pseudo Charles VI Tarocchi comme l’a souligné Ross Caldwell :
The Gringonneur case : http://trionfi.com/0/p/15/
Le Pseudo Charles VI Tarocchi serait probablement à dater de la seconde moitié du XVème siècle et aurait vu le jour à Bologne ; toutefois, la datation précise et l’origine exacte de ce beau jeu demeurent toujours sujettes à caution (voir Remarques et conclusions provisoires)
I. Remarques : incertitudes quant à la date et au lieu…
1) La datation est issue des résultats de l’examen effectué par le Laboratoire de Recherche des Musées du Louvre (1) .
Or, comme le souligne Thierry Depaulis : ils » sont formels : les pigments employés ne permettent pas d’aller au-delà d’une datation très générale. La présence de rabats, que souligne le rapport d’analyse, témoigne en faveur d’une fabrication tardive, même si, manifestement, le dessin et la peinture ont été posés une fois chaque carte montée, comme c’est aussi le cas pour les cartes de la Collection Rothschild » (1)
2)L’Ordre des Atouts est à rapprocher de l’ordre de la tradition bolonaise donc de Bologne. Toutefois les numéros des cartes sont postérieurs aux peintures elles-mêmes.
Mais le pseudo Charles VI tarocchi est-il à l’origine de cette tradition ou bien s’en inspire-t-il?
« Les chiffres indiqués sont ceux lisibles, partiellement ou non, en haut des cartes – sauf pour le Pendu, où le chiffre est inscrit en bas, « à l’envers ». Ces chiffres romains sont tracés à l’encre et paraissent légèrement postérieurs à la réalisation des cartes (première moitié du XVIè siècle au plus tard) » (1)
« Michael Dummett s’est penché sur les chiffres romains inscrits à l’encre sur le haut des cartes (sauf pour le cas du Pendu) et partiellement rognés : on peut ainsi reconstituer un ordre des Atouts qui paraît proche de la tradition bolonaise… » […] « A moins que les tarots de Bologne ne se soient inspirés de celui-ci »(1)
(1) Bibliographie : Thierry Depaulis, Tarot , Jeu et Magie, pp 40 – 41 Bibliothèque Nationale, 1984
II. Conclusions provisoires : 25 Janvier 2017
A. The 1442 datation for Tarots = triomphorum ludus was given by the author of the BnF article , in 2006, as an hypothetical dating : "semble-t-il"...
The complete sentence was :
"Le jeu de tarots est cité pour la première fois, semble-t-il, à Ferrare, en 1442, sous l’expression carte da trionfi ou triumphorum ludus (triomphes). Vers 1500, le terme tarocchi apparaît dans un livre de comptes de la cour de Ferrare. La transcription française "tarot" se rencontre dans un document daté 1505."
http://expositions.bnf.fr/renais/arret/3/ paragraphe III
Huck MEYER me rappelle que :
La plus ancienne référence au mot "Trionfi est datée du 16 septembre 1440.
"The new oldest Trionfi note is from 16 September 1440. This was spread in the year 2012, after 2006."
http://trionfi.com/giusto-giusti
Quant aux premières mentions des mots "Tarrocchi" (Ferrare) et "taraux" (Avignon)
http://trionfi.com/0/p/23/
Ferrara 1505, 2 notes of Tarochi
reported in: QUANDO SI INIZIA A PARLARE DI "TAROCCO": FERRARA 1505 by Adriano Franceschini
Archivio di Stato di Modena, Camera ducale Estense, Guardaroba, 126, Conto di debiti e crediti, II semestre 1505
c. 93r, 30 giugno:«Conto de merzaria de Guardaroba de' havere... E de' havere adì ultimo dito [giugno] per pare dexedoto de carte videlicet pare oto de tarochi e pare dexe fra schartini e carte de ronfa, quali fono portati a Viguenza, vene di Guradaroba al 3+, a c. 65 ... pare 18»
c. 96r, 26 dicembre: «E de' havere adì ditto per quindexe para de schartini e tarochi fo mandati a Viguenza per el Signore; vene di Guardaroba a 3+, a c. 68....[para] n. 15»
Avignon, Taraux December 6 in 1505
viewtopic.php?f=11&t=1074&p=16477&hilit=taraux+december#p16477
"Les premières mentions connues du mot "tarot" datent du début du XVIe siècle. Jusque là nommé trionfi il devient tarocchi sans que personne ne sache pourquoi. On le voit mentionné ainsi dans une commande du duc Alphonse d'Este à Ferrare, ou encore dans un acte notarié d'Avignon dans lequel le cartier Jean Fort s'engage à livrer "quatre douzaines de [jeux de] cartes communément appelées taraux."
http://www.tarot-paris.com/d-ou-vient-le-mot-tarot
B. Dummett, Depaulis and Vitali have noted in the past a kind of similarity between the order of the psChVI Tarot and the Order of Bologna : "quite close to" ...
M. HOWARD has given some precious data relatively to this thesis : viewtopic.php?f=11&t=1154&start=10#p18659
Nota : . Depaulis 1984 notes that the Numbers on the cards are added a little later on the initial paintings at first unumbered(?)...
C. The Stemmas of the Medicis (7 and 8 Palles) are present on Charioter of the ps ChVI Tarot.
This indicates most probably a Florentine origin of the intial paintings (unumbered?) deck.
The presence of the the Stemma of 7 Palles without Fleur de Lys would indicate with some plausibility Pietro de Medicis before May 1465
viewtopic.php?f=11&t=1154&start=30#p18688
Added November 26
D. Giovanni di ser Giovanni Guidi (called Scheggia) (Italian, San Giovanni Valdarno 1406–1486 Florence) is a plausible candidate for the psChVI paintings : http://trionfi.com/evx-lo-scheggia
Last edited by BOUGEAREL Alain on 11 Jul 2017, 20:00, edited 22 times in total.