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by BOUGEAREL Alain
Then T DEPAULIS asks the question : what were these special rules inspired by Marie de Nevers?
Here is his answer :
LES« REGLES DV IEV DESTAROTS
»Dans son récit sur le « Ieu des Tarots », Marolles explique que Louise-Marie deGonzague-Nevers en avait imaginé des « loix » nouvelles et qu’elle « trouva bon … deme charger de les escrire & de les faire imprimer ». Or, il y a près de vingt ans, j’avais eu le bonheur de découvrir au département desManuscrits de la Bibliothèque Nationale un petit texte imprimé intitulé
Regles dv iev destarots.
Ce document sensationnel, à ce jour le plus ancien exposé des règles du tarot, fut présenté sous le n°36 lors de l’exposition « Tarot, jeu et magie » en 1984.Parallèlement, la firme Héron-Boéchat, aujourd’hui disparue, avait produit un fac-similé du tarot de Jacques Viéville, fait à Paris au XVIIe siècle, et m’avait demandé d’écrire un livret d’accompagnement. L’occasion était trop belle d’y glisser le texte intégral deces règles fort lisibles et parfaitement jouables (qu’on trouvera ici en annexe, dans une édition plus conforme aux usages savants).Voici ce j’écrivais dans ce petit livret :«
La découverte, faite très récemment, d’une Règle du Jeu des Tarots, assez sûre-ment datée de 1655, constitue donc une contribution capitale à la connaissance de la marche du jeu. D’autant plus que ce document, que nous reproduisons ici pour la première fois, apporte des éléments étonnamment précis et clairs, comme on n’ose pas en espérer à une époque où les exposés de règles de jeux ne sont pas des modèles de clarté...C’est donc cette précieuse pièce à conviction que nous avons tenu à associer à la réédition du Tarot de Jacques Viéville, son contemporain. L’un ne va pas sans l’autre.
La Règle du Jeu des Tarots est conservée à la Bibliothèque Nationale, au Département des Manuscrits (cote : Dupuy 777, f°94 à 97).
C’est, néanmoins, un opuscule imprimé de quatre feuillets, avec une page de titre et six de texte. Ces feuillets sont montés dans un volume de documents manuscrits qui a été constitué en 1655 par Jacques Dupuy, bibliothécaire du roi. Au texte imprimé est joint un feuillet manuscrit (f°98) qui répète, en les reformulant quelque peu, les principaux points de la règle. […]Recueilli à Paris, cet opuscule y a vraisemblablement été imprimé. »Si la description et l’analyse ne sont pas fausses, je me dois de préciser ici que le résumé manuscrit (f°98) n’est pas de la main de Jacques Dupuy, comme je l’avais cru alors,mais de celle de son frère Augustin, mort en 1641. C’est le catalogue de la BN qui l’affirme et, avec lui, Suzanne Solente, qui a étudié la famille Dupuy
. Voilà qui resserre la datation, au vrai approximative, que, par prudence, j’avais fixée au plus tard en 1655. Mais ce n’est pas tout. La lecture attentive de ces règles fait apparaître trois variantes du même jeu : une forme normale à trois joueurs, une autre « a deux, estant mesme encore necessaire d’y en supposer un troisiesme que l’on appelle le Mort » –première occurrence de ce mot dans cet emploi ! – et une variante originale pour trois où, « afin de le trouver plus agreable il est bon d’oster douze cartes inutiles des quatre peintures », c’est-à-dire douze petites cartes, ce qui fait un jeu à 66 cartes, au lieu des 78 habituelles. Cette façon de jouer intrigue depuis lors les spécialistes
Que ce soient là les « loix nouvelles » inventées par Louise-Marie de Gonzague-Nevers me paraît tomber sous le sens. Tout concourt à le confirmer. On est frappé par la clarté de l’exposé, par son style, par les références antiquisantes et par l’ironie mordante qui sourd derrière une phrase comme :« & le reste depuis le dix jusques à l’az, n’ayant pas peu de rapport à ces petitesgens de la lie du peuple, qui sont beaucoup plus à charge qu’à plaisir, principalle-ment quand il s’en rencontre de toutes les livrées avec peu de triomphes : Car alor sles Roys mesmes avec leur Amazones ny tout leur empire ne peuvent empesche rune ruine entiere au joüeur, qui n’auroit peu flechir les autres à refaire. »J’y avais pressenti une plume. Michel de Marolles, « écrivain rapide dont le style est ce qu’il a de moins mauvais », selon Chapelain, me semble le candidat idéal. Son récit«colle » si bien à l’existence de ce petit imprimé qu’il y a tout lieu de le lui attribuer.
Enfin, comme on le verra plus loin, il est clair que les Regles dv iev des tarots ont été imprimées à Nevers, ce qui donne toute sa force à la démonstration. Leur présence dans le fonds Dupuy s’éclaire alors d’un jour nouveau. Par sa mère, en effet, Michel deMarolles était parent des frères Dupuy ! Il prend d’ailleurs grand soin dans ses
Mémoires d’établir le « degré de consanguinité » entre eux et sa famille. Son arrière-grand-mère maternelle, Madeleine Dupuy, était la sœur de Clément Dupuy, avocat à Paris, grand-père des savants frères, une ascendance « qui me donne l’honneur de l’alliance de ces illustres Pierre et Jacques Dupuy, si celebres pour leur grand sçavoir…»
On l’a vu, Marollesdevint un habitué de l’« Academia puteana» à partir des années 1630.
LES FRÈRES DUPUY
Les frères Dupuy, Augustin (1581-1641), Pierre (1582-1651) et Jacques (1591-1656), avaient hérité la belle bibliothèque de leur père Claude, conseiller au Parlement de Paris.
Collectionneurs eux aussi, ils ont accumulé toute sorte de « vieux papiers»– ouvrages imprimés, notes érudites, manuscrits, archives et autres – qui forment prèsde mille volumes patiemment classés au fil du temps. Alliés à la puissante famille de Thou, dont ils reçurent la garde des livres, ils vécurent longtemps dans l’hôtel de ceux-ci rue des Poitevins (aujourd’hui 6e arr.). En 1635, Pierre Dupuy fut nommé garde de la Bibliothèque du roi. Dix ans plus tard, Pierre et Jacques s’installèrent rue de la Harpe où étaient alors les collections royales. Ils y transportèrent leur propres livres et l’abondante moisson de documents qu’Augustin, puis Pierre avaient commencé à classer et àannoter, et que Jacques, resté seul après 1651, compléta. C’est l’actuelle Collection Dupuy, aujourd’hui au département des Manuscrits de la BnF où elle est arrivée en 1754 après quelques détours imprévus.C’est Jacques Dupuy, on l’a dit, qui a rassemblé les derniers volumes de la collec-tion. Le n°777 a pour titre : Recueil de diuerses matieres, extraits d’auteurs, obseruations & remarques historiques ; Matieres quel[con]ques. Meslanges – etc.- - - - - - -M D C L VJacq. Dupuy777Mais c’est Augustin qui s’intéressait aux jeux. Chanoine à Notre-Dame et prévôt d’Ingré, ce n’est pas le plus connu des trois frères érudits. Il s’entendit, selon Suzanne Solente, avec Pierre et Jacques pour conserver et augmenter la bibliothèque de leur père« et leur en légua sa part quand il mourut (mai 1641). » Après Léon Dorez, SuzanneSolente a reconnu sa main dans diverses pièces : « [il] copia la règle du jeu d’échecs[vol. 941] et revit les règles d’autres jeux [vol. 777].
» De fait, outre les Regles dv iev des tarots, le même volume conserve un placard imprimé intitulé
LESOIXDVPALLEMAIL (f°93) , avec des corrections à la plume, qui est précédé d’un long texte manuscrit,
LOIX ET ORDONNANCES/DVPALLEMAILDEPARIS (f°90-92) dû à la même main que pour les tarots.
JEAN FOURRÉ ,
« IMPRIMEUR DE MESDAMES»À NEVERS
]usqu’ici, l’attribution des Regles dv iev des tarots à Michel de Marolles repose plus sur l’analyse stylistique et sur l’étonnant accord entre le contenu et le récit de l’abbé de Villeloin. Mais il est une preuve de cette identification : le fascicule anonyme de la BnF a été imprimé à Nevers.
On est en effet surpris de trouver au début du texte une bien jolie lettrine au style très Renaissance (fig. 4) – un C éclairé sur fond d’arabesques – qui paraît presque déplacée dans un un tel document. Grâce à Prosper Bégat, auteur d’une Notice sur l’imprimerie à Nevers (Nevers,1864), et à quelques recherches complémentaires rendues possibles par les catalogues informatisés accessibles par Internet, il est possible de savoir qui imprimait à Nevers auXVII e siècle. Après Pierre Roussin, actif de 1578 à 1621, nous trouvons Pierre Millot puis,dès 1622, son fils Jean, dont les premiers travaux indiquent qu’il est « libraire & imprimeur demeurant proche le Collège des Iesuites »
. En 1637, nouveau changement: àJean Millot succède son gendre Jean Fourré : « le 26 avril 1637, Jean Fourré est reçu imprimeur aux mêmes conditions que son beau-père et exerce jusqu’en 1657. »
L’auteur de la Notice ne connaissait de Jean Fourré qu’un seul livre :–
Paraphrase en vers françois sur les CL. Pseaumes de David, par Pierre Bovrg, de Nevers, dédiée à Monseigneur de Premier President de la Cour de Parlement de Paris.A Nevers : chez Iean Fourré, Imprimeur du Roy, & de Son Altesse Serenissime de Mantoüe, & de la Ville, M.DC.LV.
Il est possible aujourd’hui d’ajouter deux autres titres, eux aussi conservés à la BnF:
–
Le Tableau de l’homme fort : panégyrique sur la vie & le trespas de feu Monsieur le Comte de Langeron, mareschal de camp dans les armées de Sa Majesté, par le R.P. Jean Danjou, de la Compagnie de Iesus.
A Nevers : par Iean Fourré, Imprimeur deMesdames, s.d. [1645].4°, 4 p. (l’ex. de la BM Angers est daté 1645)–
Henrici Borbonii, principis Condaei morientis, exhortatio paraenetica ad prin-cipes filios. – Henrici Borboni, principis Condaei, epitaphium.
[Signé : Petrvs LabbéS.I.] Niverni : apud Ioannem Fourré, Serenissimi Ducis Mant. & Niuern. Typographum,1647.In-fol., 4 p. (autres impressions à Paris et à Grenoble)
On note les titres dont se pare Jean Fourré : « Imprimeur de Mesdames » (c’est-à-dire Marie et Anne de Gonzague) en 1645 ; « Serenissimi Ducis Mant. & Niuern.Typographum » (imprimeur de S.A.S. le duc de Mantoue et de Nevers) en 1647 ; puis«Imprimeur du Roy, & de Son Altesse Serenissime de Mantoüe, & de la Ville » en Manfred ZOLLINGER,
Bibliographie der Spielbücher des 15. bis 18. Jahrhunderts. Erster Band : 1473-1700, Stuttgart, 1996, n°104, où il faut corriger « vor 1655 » en « vor 1641 ».
Sauf la fin, le texte est le même que celui publié dans La maison academique : contenant les jeux du picquet, du hoc, du tric-trac, du hoca, […] & autres jeux facetieux & divertissans, Paris : Estienne Loison, 1659.(28) Notamment le Catalogue Collectif de France (CCFr).(29) Donc du côté de l’église Saint-Pierre, qui en était la chapelle.(30) P. BÉGAT,op. cit.,
Fig. 5 : Lettrine C dans L’Hydrefeminine combatue par la nymphe pougoise, ou Traité des maladies des femmes gueries par les eaux de Pougues,
par M. Augustin Courrade, Docteur en Medecine. [suivi de]
Les armes d’Hercule, ou Traicté deseaux de Pougues.
[suivi de]
Questions problématiques touchant l’usage des eaux de Pougues.
A Nevers : par Iean Millot, Imprimeur & Libraire de son AltesseSerenissime de Mantoüe, M. DC. XXXIV., p. 127 (BnF, Imp., 8-TE163-1320).Fig. 4 :
Regles du Iev des Tarots,
haut de la page 3 (BnF, Mss., Dupuy 777, f°94-97)
1655. Ses jolies lettrines Renaissance sur fond d’arabesques sont immédiatementreconnaissables : elles appartiennent à la même série que celle qui orne les Regles dv ievdes tarots.
Reçu imprimeur le 26 avril 1637, Jean Fourré était donc l’homme de l’artauquel Michel de Marolles, arrivé à Nevers en juillet, dut s’adresser. Il ne m’a pas été possible de découvrir dans les rares livres conservés de cet impri-meur un C identique, mais il n’est pas douteux que Jean Fourré a utilisé le matérieltypographique de son beau-père. C’est donc dans les travaux de celui-ci, à peine plus abondants, que j’ai pu retrouver la même lettrine (fig. 5), sûrement héritée, avec le reste de la collection, de l’atelier de Pierre Roussin dont Bégat admirait « la perfection et lesoin typographique » des livres. *
**Ainsi donc, un passage négligé des,Mémoires de Michel de Marolles permet d’éclairer un mystérieux petit imprimé du département des Manuscrits de la BnF. Inspiré par Louise-Marie de Gonzague-Nevers, rédigé à l’été 1637 par l’abbé de Marolles et aussitôt imprimé à Nevers par Jean Fourré, « Imprimeur de Mesdames », ce texte porte témoignage de la grande vogue du jeu de tarot en France dans la première moitié du XVIIe siècle. Il montre que la façon de jouer la plus courante était une forme à trois joueurs, qu’on pouvait aussi pratiquer à deux avec un mort , des règles qui paraissent avoir perduré jusqu’à la fin du XVIIe siècle en dépit du déclin brutal de la popularité du jeu après la Fronde : Antoine Court de Gébelin donne dans le tome VIII de son Monde primitif
(1781) une « Maniere dont on joue aux Tarots » qui est, ni plus ni moins, la variante à deux, avec un mort, décrite par les Regles dv iev des tarots
.
« Un de nos amis, M. L’A. R. – écrit Court – a bien voulu nous expliquer la maniere dont on le joue :c’est lui qui va parler, si nous l’avons bien compris. »
L’intérêt du petit imprimé nivernais réside aussi dans la variante à 66 cartes imagi-née par Louise-Marie de Gonzague-Nevers. Il ne semble pas que celle-ci ait dépassé des amis de la duchesse car on n’en trouve l’écho nulle part ailleurs. Mais il estl ’indice le plus parlant qui nous amène à revoir la datation et à corriger les bibliographies existantes
ainsi :– [MAROLLES, Michel de],
Regles dv iev des tarots,
s.l. [Nevers] : s.n. [Jean Fourré], s.d. [1637] (BnF, Mss., Dupuy 777, f°94-97).
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BOUGEAREL Alain on 31 Aug 2016, 22:47, edited 3 times in total.